«Vampirologue ? C’est un terme que m’a donné la presse. Mais, au risque de vous décevoir, je ne crois pas aux vampires. Je m’intéresse aux symboles du vampire. » Vêtu de noir, une petite pile de livres à ses côtés, une tasse de café en main ; Jacques Sirgent nous reçoit à une table du café Le Ramus, à deux pas de la porte Gambetta. « C’est le mal qui m’intéresse », dit-il.
Né au Canada, c’est dans un collège catholique irlandais qu’il développe doucement cet amour pour le mal et les vampires. « Les religieuses y fouettaient les élèves tous les matins. Je ne l’ai jamais dit à mes parents car je ne voulais pas les inquiéter… On nous apprenait aussi que les femmes étaient des démons. » À 7 ans, il visionne son premier film sur les vampires Nosferatu : une révélation. « J’ai trouvé ce personnage, censé être maléfique, plutôt sympa par rapport à mes professeurs. »
Le début d’un coup de foudre qui durera toute la vie de l’auteur, qui a signé la toute première traduction intégrale en français de Dracula de Bram Stoker. « J’ai fait mes études en Suisse, à Genève, où j’ai obtenu un diplôme universitaire de linguistique sur l’étymologie du nom de Dracula. J’ai fait une licence d’anglais sur la personnification du mal dans le roman gothique, un master de lettres modernes sur le diabolisme dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly et un été en histoire de l’art à l’école du Louvre. » Professeur pendant 22 ans, il décide de laisser tomber l’enseignement pour se relancer dans ses « premiers amours », avec notamment l’ouverture d’un « Musée des vampires et monstres de l’imaginaire » enfermant une bibliothèque de près 1 500 ouvrages « dont certains datant de plusieurs siècles », des tableaux rares, un piège à loups-garous, des armes anti-vampires de la fin du XIXe siècle et une collection de plus de 1 500 films de vampires. « Il est aujourd’hui fermé, la collection se trouve chez moi : j’habite maintenant dans un musée », sourit le spécialiste volubile qui multiplie les anecdotes historiques et personnelles. Comme cette fois, où on « a essayé de me décapiter, de me noyer et de me brûler vif », glisse-t-il entre deux explications symboliques.
Invité à donner une série de conférences dans une université de Louisiane, aux États-Unis, en 2007, Jacques Sirgent n’a pas vraiment été reçu chaleureusement par la population locale. « Un groupe de fanatiques catholiques m’a poursuivi. Heureusement, ils étaient beurrés la plupart du temps, j’ai réussi à m’échapper. » Ces événements, il les raconte dans son livre Louisiane. Auteur prolifique, il a écrit pas moins de 18 ouvrages, dont, le dernier roman en date, Sang domicile fixe - où on suit la jeune chercheuse Euryale lors d’une enquête menée au cœur… du cimetière du Père-Lachaise.
LES RITUELS CACHÉS
Rien d’étonnant qu’il revienne à ce lieu de prédilection, celui qu’il arpente au moins quatre fois par semaine, dit-il. « Je me suis donné du temps, c’est pour ça que je vois les choses. Je crois à certains phénomènes supernaturels qui arrivent au cimetière et qui n’arrivent qu’à moi », souffle-t-il, en nous emmenant arpenter frénétiquement les allées, jetant des regards furtifs derrière lui tout au long de la visite. Ici, on ne s’arrête pas seulement devant les stèles célèbres, on part plutôt à la chasse aux symboles et rituels comme celui de la main tranchée. « Regardez cet ange, il lui manque un doigt. Trancher la main droite d’un ange, d’une représentation du Christ ou de la Vierge est une interpellation au Ciel. Celui qui l’a fait en veut à la divinité ! Couper les deux mains d’une statue à caractère religieux est un rejet total de ce qu’elle représente. Comme c’est le symbole qui compte, on se contente souvent d’un doigt, généralement le pouce, plus facile à amputer. Les anges sont parfois amputés d’une aile ou d’une plume, c’est plus discret. » L’origine de ces rituels n’a rien de nouveau, au contraire, explique-t-il. « Les rituels se construisent par touches successives, au fur et à mesure que s’élaborent les croyances au surnaturel. Dans le livre biblique des Macchabées, pour punir un ennemi mort sur un champ de bataille, on lui tranchait souvent la main droite qui représente le côté du ciel, la gauche (sinistra en latin) étant le côté de la terre ou l’enfer, afin de l’empêcher d’accéder au ciel. Sans sépulture, une âme errante est donc souvent un non mort, un vampire », expose Jacques Sirgent. « J’ai mis 15 ans pour trouver pourquoi les anges étaient mutilés. Et je peux prévoir à l’avance où ils le seront. À part une exception, les Christs sont toujours mutilés sur des tombes où il n’y a pas de noms. Je trouve ça délicat, comme si la personne se retenait… »
« Trancher la main droite d’un ange, d’une représentation du Christ ou de la vierge est une interpellation au Ciel. Celui qui l’a fait en veut à la divinité ! Couper les deux mains d’une statue a caractère religieux est un rejet total de ce qu’elle représente. » Jacques Sirgent
Autre rituel : celui des roses sur les tombes, qui permettent de les protéger. Tant que les tombes sont entretenues et donc fleuries, la mairie ne les détruit pas, dit-il. « Pour un rituel complet, on déposera une rose rouge qui symbolise le sang, ensuite une rose rose (le sang descend lentement jusqu’au défunt) et pour finir une rose blanche qui symbolise la rose rouge dont le sang est descendu jusqu’au défunt pour le maintenir en vie. »
Plus loin, un arbre pousse sur une tombe. « C’est une croyance millénaire et universelle, l’arbre ne pousse que sur la tombe de quelqu’un de bien et permet à l’âme du défunt d’entrer dans l’arbre et donc de devenir immortelle. En vous présentant avec respect devant l’arbre, il peut aussi guérir les maladies si vous le touchez. »
Tout au long de notre entretien, le vampirologue nous raconte des choses incroyables… parfois à la limite de l’improbable ; mais toujours passionnantes. « Moi je dis pourquoi pas, c’est peut-être possible ! » De quoi nous captiver jusqu’à la fin de cette visite ésotérique, où les légendes, rituels et symboliques nous ont fait voyager dans un monde surnaturel. « À 10 ans, j’ai été déclaré mort après un accident de car scolaire. Je me suis réveillé sur le chemin de la morgue. Mes parents ont appris ma mort dans le journal. » Et s’il ne lui manquait en fait que la cape noire ?
Prix : 18 euros (2 h 30)
https://www.sous-les-paves.com/produit/mysterieux-pere-lachaise-avec-un-vampirologue/
D’ÉTRANGES LÉGENDES, COMME CELLE DU MAUSOLÉE DE LA COMTESSE DEMIDOFF
Voici un bâtiment impossible à rater : celui de la comtesse Demidoff, une dame richissime d’origine russe décédée en 1818, après un mariage malheureux. Situé dans la 19e division du cimetière du Père-Lachaise, ce somptueux mausolée a été construit à grands frais. Selon la légende, cette dame moscovite avait déposé un testament indiquant qu’elle léguerait la totalité de sa fortune à la personne qui viendrait la veiller sans interruption pendant une année. « Le testament disait : Je laisserai la plus grande partie de ma fortune au premier qui accepte de se faire enterrer vivant avec moi, afin de veiller sur mon corps, pendant 365 jours et 366 nuits. Ce dernier serait nourri et logé comme dans une prison. Pas question qu’il reste contre sa volonté, mais s’il tenait le coup, il touchait une fortune », raconte Jacques Sirgent. Selon la légende, trois hommes auraient accepté ce challenge dont un Américain et un Suisse, explique-t-il. « Ils seraient devenus fous en moins de trois semaines, alors qu’ils pouvaient sortir, s’ils le souhaitaient. » Cette légende s’est répandue dans la presse occidentale au fil des décennies. Le conservateur de 1896, Adolphe Brisson reçut d’ailleurs des milliers de lettres lui demandant des renseignements sur la manière d’accéder à cette fortune.