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« La visite du Père-Lachaise est une chasse au trésor »

Auteur-conférencier-guide incollable sur le cimetière du Père-Lachaise, Bertrand Beyern fascine grâce à son ton décalé et son savoir encyclopédique. Rencontre.

On met quinze minutes à traverser le cimetière du Père-Lachaise, moi je mets une vie à en faire le tour. » Mais comment devient-on autant fasciné par les cimetières ? Notre première question sort naturellement, sa réponse tout autant. « Vous paraissez étonnée, mais, moi, c’est votre question qui m’étonne. Je vous garantis que tout enfant, un petit peu curieux, qu’on emmène découvrir le Père-Lachaise est séduit par cet endroit », sourit Bertrand Beyern à l’heure de nous guider à travers les allées du cimetière parisien, sous une fine pluie de février. « Ici, à la différence d’un musée, tout ce qu’on vous présente n’a pas d’intérêt. De temps en temps, un monument ou une célébrité sort de l’ordinaire, mais ce sont des inconnus pour l’essentiel. Autrement dit, la visite du Père-Lachaise est une chasse au trésor ! »

Et des joueurs, il y en a, toute l’année. Quelle que soit la météo, carte ou smartphone à la main ; on les voit se diriger, avec plus ou moins d’aisance, entre les allées, pour découvrir les tombes de Jim Morrison, Edith Piaf ou encore Balzac. « Vous avez vu ce groupe qui vient de passer ? Ils font le Père-Lachaise en 45 minutes, Paris dans la journée, l’Europe en une semaine… », regrette celui qui propose de nombreux « safaris nécropolitains », aux thématiques variées.

« La musique, l’humour noir, les crimes, les histoires et secrets de famille, Proust et la Belle Époque… Je pourrais peut-être proposer une visite à la découverte des tombes des Belges célèbres », glisse-t-il. Véritable caméléon érudit, il sait clairement comment accrocher son public. Ses visites-conférences sont préparées minutieusement. « Il faut compter un an de préparatifs », souligne l’expert qui jongle avec les noms et les dates avec poésie, tendresse et humour.

« On met quinze minutes à traverser le cimetière du Père-Lachaise, moi je mets une vie à en faire le tour. » Bertrand Beyern

GUIDE AVANT L’HEURE

« C’est à six ans, en m’y promenant avec ma famille, que j’ai trouvé le lieu de ma vie. Je n’avais qu’une envie : y revenir, se souvient-il. Je n’étais pas tellement différent des autres gamins, mais j’apprenais un peu trop tout ce que je lisais. Je passais mes cours à écrire les listes des noms d’écrivains, peintres, compositeurs et tombes à aller voir. Évidemment, cette démarche étonnait les instituteurs. Tous les ans à la fin de l’année, nous faisions donc une sortie de classe au Père-Lachaise sous ma houlette. Les copains et copines n’en pouvaient plus (rires). C’est ainsi qu’on m’a très vite collé l’étiquette de « Monsieur cimetière », alors que je suis persuadé que le maître mot de ces lieux c’est la vie », souligne le « nécrosophe », spécialiste des cimetières – néologisme… qu’il a lui-même inventé.

« LA MORT, C’EST LE SOUVENIR »

« Pour moi, la mort c’est le souvenir. Ici, la mort a vaincu, donc il ne s’agit pas de lutter contre elle. On l’aperçoit très peu d’ailleurs. Tout est illusion et théâtralité dans un cimetière, alors qu’en réalité on se promène au milieu de corps décomposés ou en décomposition… Et pourtant, la société a trouvé des subterfuges pour nous le faire oublier. Les lieux sont disposés tels des villes, avec de grandes allées et chapelles qui font gentiment semblant d’être habitées. On donne une adresse aux morts, via les divisions, les allées et les sections. »

Sur les épitaphes, les mots gravés « Ici gît », « Ici repose », «… s’est endormi » permettent de prendre de la distance avec « cette intolérable mort », rappelle-t-il. « Je sens beaucoup plus la présence de la mort quand je passe devant une pharmacie, une plaque d’un médecin ou un hôpital, ou quand un camion de pompiers passe avec les sirènes. Ici, tout est très nostalgique. » Très jeune, il publie son premier livre, Guide des cimetières en France (1994) et finance ses voyages en participant à des jeux télévisés : Jeopardy ! Que le meilleur gagne, Motus, Questions pour un champion…

HUMOUR NOIR

Trois heures de visite sous la pluie et, pourtant, notre guide a toute notre attention. Au fil des tombes et des statues, les anecdotes s’enchaînent. On croise d’autres groupes, qui s’arrêtent quelques secondes pour une date, un nom, devant les tombes les plus célèbres. Eux sont guidés par « des montreurs de tombes » lance avec amertume notre guide, lassé de se voir « voler ses textes sur internet ». La tension est palpable.

On continue. On s’arrête devant l’une des tombes les plus visitées du cimetière : celle de Victor Noir, un jeune journaliste dont les funérailles sont considérées comme l’un des éléments déclencheurs de la Commune de Paris de 1 871. D’ailleurs, c’est au Père-Lachaise que se terminent les combats de la Commune ; ses impacts toujours visibles sur la statue de l’écrivain Charles Nodier (juste en face de celle de Balzac). Mais revenons à Victor Noir, « tué par Pierre Napoléon Bonaparte, le cousin germain de l’empereur Napoléon III, alors qu’il se présentait à lui en fonction de témoin de duel ». Il est enterré à Neuilly-sur-Seine avant d’être transféré ultérieurement au Père-Lachaise par ses amis républicains. Si son histoire impressionne, c’est sans aucun doute son impressionnante virilité, immortalisée dans le gisant de bronze par le sculpteur Dalou, qui attire les foules. « Le pauvre… C’est la tombe d’un martyr de la République, et aujourd’hui, on prétend que la virilité fatiguée de certains messieurs peut se réanimer s’ils viennent fleurir la tombe ; que les jeunes femmes tombent plus facilement enceintes. Les traces de fétichisme s’élèvent jusqu’au menton. » Des séances photo bien trop osées y ont aussi été tournées (sans autorisations, évidemment). Sur certaines tombes, l’engouement est tel qu’il faut littéralement barricader les lieux, avec des barrières Nadar (aujourd’hui recouvertes d’autocollants) pour celle de Jim Morrison et à l’aide d’un écran de verre pour celle d’Oscar Wilde. D’autres sont, au contraire, oubliées par les plus jeunes, regrette notre spécialiste. « Si je leur dis Georges Moustaki ou Francis Lemarque, ces noms ne leur diront rien. » Avec d’autres générations, que du contraire ; il se fait alors parfois « le triste informateur ».

«  Le pauvre. C’est la tombe d’un martyr de la République, et aujourd’hui on prétend que la virilité fatiguée de certains messieurs peut se réanimer s’ils viennent fleurir la tombe ; que les jeunes femmes tombent plus facilement enceintes… »

Au détour du chemin des Chèvres, « souvent oublié par les chasseurs de noms célèbres », on découvre les monuments dédiés aux maréchaux de Napoléon, l’imposante statue du général Gobert, « mort sur un champ de bataille en Andalousie, et dont seul le cœur repose dans le monument ». De là, aussi, on aperçoit la tour Eiffel, la tour Montparnasse…

« C’est sans doute l’endroit le plus calme du cimetière, commente-t-il. En tout cas, s’il y a bien une chose que le cimetière m’a apprise, c’est que les vivants, ça ne suffit pas. Pourriez-vous imaginer une vie où on ne lirait que les écrivains vivants, où on n’écouterait que les musiciens du moment et où on admirerait que les peintres actuels ? Moi j’ai besoin d’avoir cette dimension supplémentaire. » Au cimetière, il se sent attendu, à sa place, dit-il.

« En fait, c’est le métier des autres qui me surprend. À quel moment un gars abdique-t-il ses rêves de gosse pour devenir assureur ? Moi, j’ai l’impression que je n’ai pas trop trahi le gamin que j’étais. »

Visite sans réservations : 15 €

https : bertrandbeyern. Fr