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« Aujourd’hui, beaucoup de gens ne savent pas quoi faire quand un proche meurt à domicile », observe Chris Paulis. Et pour cause : les gestes, les rituels, les réflexes d’antan ne sont plus transmis. Ce qui, autrefois, allait de soi – laver le corps, veiller, accompagner – est désormais confié à des professionnels, dit-elle. La maison s’efface au profit du funérarium. Et la mort devient un événement plus distant, délégué.
« Avant, toutes les filles voyaient autrefois leurs grands-mères, leurs tantes, leurs mères s’occuper des morts. Elles savaient ce qu’il fallait faire, comment préparer une pièce, comment habiller un corps, comment en parler aux enfants. Cette chaîne s’est rompue avec la professionnalisation du secteur », poursuit l’anthropologue.
Mais si les gestes concrets se perdent dans l’intimité de la maison, les femmes continuent de jouer un rôle central dans la sphère familiale et demeurent bien souvent les chevilles ouvrières du deuil. « Quand un proche meurt, ce sont encore elles majoritairement qui choisissent les vêtements, organisent les repas, gèrent les détails logistiques », rappelle Chris Paulis. Une charge affective et mentale considérable, souvent invisible, et rarement reconnue comme telle.
D’ailleurs, cette implication se prolonge au-delà même de la cérémonie. « Après les obsèques, ce sont aussi les femmes qui orchestrent la plupart du temps le retour de funérailles. Gâteaux, sandwichs, accueil des invités… » Là encore, elles tiennent la barque. « C’est une extension de ce qu’on attend d’elles depuis toujours : gérer la vie, et la fin de la vie, avec discrétion », analyse Chris Paulis. Dans la maison, elles sont bien souvent encore à la fois les bras, le cœur et la mémoire du deuil.
Caroline Beauvois