Entrepreneure de pompes funèbres, ex-prosectrice, frituriste express, formatrice à l’IFAPME et cofondatrice d’une société d’exhumation, Armony Smal est une touche-à-tout passionnée, engagée corps et âme dans un secteur qu’on croit parfois connaître… à tort.
« Le premier défunt que j’ai vu, c’était mon grand-père. Il était tellement beau, tellement serein. Je me suis dit : c’est ça que je veux faire. » À 36 ans, Armony Smal a déjà 15 ans de métier derrière elle. Ce qui l’anime ? Rendre aux morts la dignité qu’ils méritent. Originaire d’Ohey, un village sur les hauteurs d’Andenne, elle découvre le secteur funéraire à 20 ans et devient stagiaire aux Funérailles Bodson, à Namur, une entreprise familiale où elle travaille aujourd’hui à temps plein. Non pas sans un détour par l’Université de Namur où elle officie un temps comme prosectrice (personne qui prépare les corps pour les dissections), puis elle rejoint une entreprise de pompes funèbres à Verviers, « où on gérait trois à quatre fois plus de décès qu’ici, donc une école énorme ». Elle y affine sa technique, apprend la gestion, les contacts avec les familles, et les subtilités de l’impression de faire-part. « Je suis revenue chez Bodson il y a cinq ans, entre-temps j’ai aussi eu une friterie pendant trois ans. » Avant de revenir à ses premiers amours.
« Leur rendre de la dignité »
Formée à l’IFAPME en tant qu’entrepreneure de pompes funèbres, elle se lance aussi dans une spécialisation en embaumement via le British Institute of Embalmers (BIE), mais le décès du professeur et la dissolution de l’école l’empêcheront d’obtenir le diplôme, explique-t-elle.
Ce qui l’a attirée au départ ? Le soin du corps. « Me dire que je rends une dernière image belle à une personne. Qu’elle part dignement. Qu’on ne la revoit plus, mais qu’elle est respectée. » Et d’évoquer les corps oubliés, les blouses d’hôpital, les ongles longs et sales, les dentiers négligés… Et la réparation, symbolique et concrète, qu’elle apporte par ses gestes et ses soins. « Pour certaines personnes, on leur rend parfois un peu de dignité. Alors oui, on a une barrière qui se crée naturellement. Pour ma part, en tout cas, on ne vit pas dans la tristesse. On vit avec celle des autres, mais on n’y prend pas part. »
« Beaucoup pensent qu’on ne fait que mettre les gens dans un cercueil »
Ce qui frustre parfois Armony, c’est la méconnaissance profonde du public envers son métier. « Les familles pensent qu’on va chercher le défunt, qu’on le met dans un cercueil, et qu’on se revoit aux funérailles : c’est tout. Elles n’imaginent pas tout le travail qu’il y a derrière : les assurances, les notaires, les banques, les crématoriums, les communes, le diocèse… »
Aujourd’hui, tout est plus complexe, dit-elle. L’administratif s’est alourdi, la digitalisation s’est imposée depuis le Covid, les procédures se multiplient. « Quand j’ai commencé, on faisait une déclaration de décès et on faxait une nécro à L’Avenir. Maintenant, ce sont des tableaux, des formulaires, des échanges avec Légatio, avec les marbriers… »
Et pourtant, malgré la charge mentale, le rythme intense - pour le moment, une semaine de garde sur deux, jour et nuit, pour elle et sa collègue Bérénice Colinet, et deux -, elle tient. « Ce sont des horaires qui sont assez lourds et fatigants, mais j’ai la chance d’avoir un compagnon qui connait le métier et qui sait ce que c’est, qui m’aide et qui prend le relais à la maison avec notre petite fille de deux ans. »
À 25 ans, Bénérice Colinet, est agent funéraire ; elle partage le quotidien d’Armony. « On fait tout : les formalités administratives, les cérémonies, les mises en bière, la préparation des défunts, les crématoriums, les cimetières… On est multitâches, c’est le mot. »
Entrée très jeune dans le métier, Bérénice raconte avoir toujours été fascinée par ce milieu « différent des autres. À 15 ans, déjà, j’ai fait un stage de rhéto dans les pompes funèbres. Ce n’est pas commun, mais je ne voulais pas d’un métier ordinaire. Je voulais être utile, proche des gens, sans rester enfermée tout le temps dans un bureau. »
« Je ne supportais pas être enfermée dans une chambre froide »
Et si elle a d’abord voulu devenir thanatopractrice, les réalités physiques du métier l’ont orientée autrement. « J’ai accompagné le thanatopracteur Alain Koninckx à quelques reprises. Mais je suis souvent tombée dans les pommes… Je ne supportais pas être enfermée dans une chambre froide. J’étouffais. Il m’a dit : commence au bas de l’échelle. C’est ce que j’ai fait. »
Aujourd’hui, elle se définit un peu comme « assistante sociale », souffle la jeune femme, qui aime se charger des dossiers. « Les familles sont de plus en plus déchirées. Parfois, on doit organiser deux visites séparées, pour éviter les disputes… Les dossiers prennent plus de temps. Avant, c’était plus simple. Maintenant, c’est beaucoup de médiation, d’écoute, de gestion humaine. »
Et malgré la fatigue, la jeune maman ne changerait de voie pour rien au monde. « Je ne pourrais plus travailler derrière un bureau. Ici, aucune journée ne se ressemble - je sais quand je commence, jamais quand je termine. »
Une triple casquette
Professeur à l’IFAPME, Armony Smal a aussi co-fondé il y a quatre ans Fune Work BS, une entreprise spécialisée dans les exhumations de confort et l’entretien de tombes.
« Quand une concession arrive à terme, soit la commune reprend le terrain, soit la famille décide de le renouveler. Dans ce cas-là, on creuse, on récupère les ossements, on les met dans un nouveau cercueil et on les réinhume dans la nouvelle concession. » Un vrai second enterrement, encadré par la loi : ces interventions ne sont d’ailleurs possibles qu’entre le 15 novembre et le 15 avril, dit-elle.
Fune Work BS, c’est aussi un service de fleurissement des tombes à la Toussaint. « Beaucoup de gens sont éloignés, âgés, ou tout simplement débordés. On nettoie la tombe, on fait des photos avant/après, on dépose les fleurs, et on leur envoie le tout par mail. »
Une vocation aux multiples visages
Si Armony Smal jongle avec toutes ces casquettes, c’est qu’elle y trouve un sens profond. Un engagement, au service de la dignité des morts et du réconfort des vivants. « On voit les familles arriver en larmes et repartir un peu apaisées. À ce moment-là, on sait qu’on a fait notre boulot. »
Caroline Beauvois