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« Ce qu’on fait ici, c’est avant tout pour ceux qui restent »

Direction le crématorium de Ciney, à la rencontre de Jean-Benoît Page et de son équipe. Ici, l’empathie et l’écoute sont au cœur de leur mission : accompagner les familles dans le douloureux moment des adieux. Car qu’on ne s’y trompe pas : un crématorium est avant tout un lieu pour les vivants.

Il nous accueille avec un sourire chaleureux, comme un contraste étonnant dans un lieu que l’on associe spontanément à la gravité. Jean-Benoît Page est directeur du Crématorium et Parc Mémorial du Cœur de Wallonie, à Ciney. Le dôme pyramidal vitré de l’accueil laisse passer la lumière naturelle. Costume impeccable, Jean-Benoît déclare d’emblée : « On pense souvent que notre métier est tourné vers les défunts, mais en réalité, ce qu’on fait ici c’est avant tout pour ceux qui restent. C’est eux qu’on accompagne. » Son rôle ? « On est des passeurs d’eau, on aide les familles à traverser d’une rive à l’autre. » Et pour que le passage se fasse sans accroche, il peut compter sur toute une équipe. Tanguy, Élodie et Lorenzo, également maîtres de cérémonie. « Mais on est polyvalent. On est presque tous formés au maniement des appareils de crémation, à l’accueil, aux tâches administratives. Mais le cœur du métier est maître de cérémonie, c’est aussi le poste le plus difficile puisqu’il faut pouvoir gérer ses émotions… » A la cafétéria, Sandra, Nancy et Morgane se chargent des réceptions, Robin est à la technique, Jérémy au jardin.

DU JOHNNY HALLYDAY, POURQUOI PAS !

Direction la grande salle de cérémonie, baignée de lumière. Un écran diffuse photos et vidéos, accompagnées d’une musique. « La veille ou l’avant-veille, nous téléphonons à la personne de contact afin d’expliquer comment se déroule la cérémonie chez nous à Ciney – celle-ci est différente dans chaque crématorium », explique Tanguy, maître de cérémonie depuis dix ans. « On demande si la personne désire une musique en particulier, une musique que le défunt appréciait ou qui le représente bien. Quand on me dit que le défunt aimait Johnny Hallyday, mais qu’ils n’oseraient pas passer du rock dans un crématorium, je le réponds qu’il n’y a rien de déplacé. Car la plus belle cérémonie est celle qui représente le défunt ! » « Les familles ont besoin d’être rassurées, ajoute Jean-Benoît. Certaines personnes nous disent n’être jamais venues dans un crématorium, il y a une certaine peur de l’inconnu. » Le départ du cercueil en fait partie. Un couloir baigné de lumière ou parsemé d’étoiles – selon les souhaits – permet d’accompagner ce départ douloureux. « Pour beaucoup, surtout quand il y a des enfants, c’est plus apaisant, plus doux. Les petits disent souvent : ‘Regarde, il est parti dans les étoiles.’ Ça aide à rendre ce moment moins dur à traverser. » Un peu plus loin, une pièce plus intimiste est réservée à la remise des urnes. « C’est un moment souvent très difficile pour les familles, confie-t-il. Ils viennent d’accompagner un cercueil, et deux heures plus tard, ils repartent avec une petite boîte de trois kilos de cendres. C’est un choc pour beaucoup de gens. On voit des familles qui, en entrant dans la salle pour la remise de l’urne, font presque un pas en arrière tellement c’est violent comme expérience. »

UN MÉTIER QUI NE S’APPREND PAS À L’ÉCOLE

D’où l’importance de l’empathie dans ce métier qui s’apprend sur le tas, souffle le directeur. « On ne peut pas être des robots. Si on devient mécanique, on perd notre rôle. Ce que les familles attendent de nous, c’est de l’empathie. » « Le maître de cérémonie, c’est un métier qu’on a en soi, ou qu’on n’a pas. Il n’y a pas d’école pour ça. Il faut une vraie capacité d’écoute et d’empathie. Les familles n’attendent pas de nous des phrases toutes faites ou des discours mécaniques. Chaque cérémonie est différente, même si on en fait dix par jour. » Et certaines sont aussi douloureuses pour eux. « Le cas le plus difficile que j’ai eu, c’est lorsque j’ai dû accompagner un ami, très proche. Cette fois-là, j’ai senti que ma place était dans le public et non comme maître de cérémonie. Mais j’ai pu déposer son urne dans le jardin, ce qui a été pour moi ma façon de l’accompagner jusqu’au bout », se remémore Tanguy.