Printemps 2020, la population mondiale se met sur pause, confinée entre ses quatre murs par l’arrivée d’un mystérieux virus. La nature, elle, semble reprendre ses droits aux quatre coins de la planète. Les dauphins apparaissent dans le port de Marseille, des poissons sont de retour dans les canaux de Venise, des canards se promènent en plein Paris et au cimetière du Père-Lachaise des renardeaux… jouent entre les tombes.
« Je les ai vus pour la première fois en avril 2020, pendant le premier confinement. Lorsqu’il était interdit de sortir, mais où je travaillais car il y avait beaucoup de décès malheureusement. C’est une période très dure professionnellement. C’est dans le cadre de mes fonctions que j’ai eu la chance de tomber nez à nez avec un petit renardeau, qui sortait des herbes hautes. J’ai pris un cliché avec mon téléphone et le soir même je suis revenu avec mon appareil photo », se rappelle le conservateur Benoît Gallot, domicilié au Père-Lachaise.
« Les renards semblent se plaire au Père-Lachaise, puisqu’ils s’y reproduisent chaque année maintenant. En 2023, j’ai eu la chance d’observer deux portées de renardeaux, soit huit petits au total. » Benoît Gallot
« Quatre renardeaux étaient en train de jouer entre les tombes. C’était un moment inoubliable ! » Car si un renard avait déjà été aperçu avant le confinement, c’était la première fois que des petits y étaient observés.
« Ils semblent s’y plaire puisqu’ils s’y reproduisent chaque année maintenant. En 2023, j’ai eu la chance d’observer deux portées de renardeaux, soit huit petits au total. »
De quoi l’encourager à reprendre en main son compte Instagram La vie au cimetière, créé en 2018, mais délaissé depuis son arrivé à son nouveau poste.
« Avant mon travail de conservateur, les animaux sauvages ne m’intéressaient absolument pas. C’est en gérant le cimetière parisien d’Ivry, où on a initié la démarche zéro-phyto, que mon regard a changé et que j’ai découvert cette vie incroyable entre les tombes », se souvient-il.
IL FAIT LE BUZZ SUR INSTAGRAM
Aujourd’hui, son compte Instagram est suivi par pas moins de 87 000 abonnés. « Dans le cimetière, il y a beaucoup de vie ! C’est ce que j’essaye de mettre en avant via mes photos, notamment des animaux qui peuplent ce cimetière. »
Parmi ceux-ci, on retrouve beaucoup d’oiseaux, tels que des corneilles, perruches et pies, mais aussi des fouines, des chats ainsi donc que des renards devenus les animaux emblématiques des lieux. « On estime que deux couples se sont installés. Ce qui est un très bon indicateur de biodiversité des lieux, se réjouit-il. On doit continuer dans cette voie, car s’il y a beaucoup d’édifices en pierre au Père-Lachaise, il y a aussi beaucoup d’herbe, de pelouse, d’arbustes et d’arbres. »
Évidemment, ne comptez pas tomber sur les renards en pleine journée. « Ce n’est pas un zoo, ils sont invisibles en journée ; ils se cachent et dorment. Mais, entre 18 h 8 h du matin, lorsque le cimetière est fermé, ils arpentent les allées et occupent les lieux. Il ne faut surtout pas les déranger. »
Et d’ajouter, rieur : « Ils ont compris le fonctionnement des cloches du soir, actionnées par nos agents, qui signalent l’évacuation du cimetière. À 18h, les portes se ferment ; à 18 h 10, nos agents toujours présents sur place les aperçoivent déjà. Ils ont vraiment intégré les horaires d’ouverture, tout en restant toujours très sauvages. Ici, ils ont 14 heures de quartier libre pour profiter des 43 hectares en plein Paris sans aucune activité humaine. »
« Aujourd’hui, comme ce n’est que du positif, on essaye de préserver et d’encourager la vie sauvage. Pas question de les nourrir, de les soigner ou de les stériliser ; ce ne sont pas des animaux domestiques - seuls les chats le sont. Ce sont des animaux sauvages qui s’autorégulent. Certains meurent, certains se reproduisent : c’est la dure vie sauvage. Notre rôle, c’est de donner les conditions qui permettent à ces animaux de s’installer ici, en travaillant sur la biodiversité des lieux. Si aujourd’hui deux couples de renards se sont installés sur place, c’est parce qu’ils y trouvent leur source de nourriture (oiseaux, rongeurs, fruits, vers de terre, insectes…) », souligne le photographe, qui a immortalisé un renard, un pigeon dans la gueule. « Ils font aussi les poubelles et terminent certainement les gamelles des chats, qu’ils ne mangent pas, je vous rassure ! »
Son rêve ? « Que les écureuils reviennent au cimetière du Père-Lachaise ! On dit qu’il y en avait il y a très longtemps, j’aimerais les revoir. » Mais pas question de forcer la nature. « Mon travail n’est pas d’aller les chercher, mais de leur offrir les conditions de vie qui leur permettent de s’installer au sein de cette nécropole. »
LA PHOTOGRAPHIE ANIMALIÈRE, UNE PASSION
« Les oiseaux ou les chats, on peut les photographier toute l’année, mais les renards, c’est surtout au printemps et en été que c’est possible. Le plus dur, c’est de trouver le terrier parmi les 43 hectares. »
D’une année à l’autre, leurs emplacements changent de place et ne se trouvent pas forcément là où on s’y attend le plus. « Ils ont déjà fait leurs terriers dans des zones touristiques très fréquentées, où des milliers de personnes passent à côté tous les jours, sans les voir. Ils sont très surprenants ! »
C’est en soirée, après la fermeture, quand le cimetière est désert, qu’ils arpentent les allées, son appareil photo à la main. « C’est très aléatoire. Je peux marcher deux heures sans rien voir un jour, et faire un tas de clichés incroyables en 30 minutes un autre jour. J’aime beaucoup la photographie animalière dans le sens où on ne sait jamais ce qu’il va se passer à l’avance. C’est un peu comme les journées de travail (sourire) et c’est ça que j’aime bien. »
Et de conclure : « J’aime beaucoup le côté poétique et ironique, que dans un lieu dédié à la mort, il y ait autant de vie sauvage entre les tombes. »